Les sources du va-t-en-guerrisme sont invariables, mais leurs conséquences, effroyablement les mêmes. Que ce soit la perte de plus de 18,6 millions de vies humaines durant le premier conflit mondial, qui devait être la « Der des Ders », ou les 60 millions durant la suivante, l’humanité s’est fragmentée au grès des nationalismes bellicistes pour terminer en bains de sang dont le souvenir, de plus en plus flou, se résume à quelques noms : Verdun, Passchendaele, la Somme, Stalingrad, Hiroshima.
Or, l’histoire de la guerre ne se résume pas qu’à ces deux conflits, elle remonte aussi loin qu’à l’âge des chasseurs-cueilleurs. Le meurtre, le viol et la torture, toutes des manifestations de cette folie humaine qui s’enracine bien souvent dans la peur ou la convoitise. Un examen historique de nos sociétés révélerait que la condition humaine est indissociable à la guerre, et le conflit, caractéristique intrinsèque de cettedite condition. En d’autres mots, la guerre est une manifestation de notre humanité (ou l’inverse, qui est également vrai, bien qu’elle résulte sur des conclusions différentes).
En adoptant cette posture, nous pourrions résumer l’histoire humaine en un arrangement sonore : le sifflement des toutes premières flèches, le ferraillement des épées et des boucliers, le grondement des canons, la rafale des mitraillettes, le cliquetis des chaines des chars d’assaut. Le tout serait ponctué de silences. La mort. Ou plutôt les morts, qui tombent les uns sur les autres dans un mélange poussiéreux de morceaux de tissus, d’ossements et de terre — s’accumulant année après année, siècle après siècle, millénaire après millénaire. Hommes et femmes anonymes : nous ne savons rien d’eux, ni leur nom, ni leur âge, ni même leur passé. Étaient-ils jeunes ou vieux, amoureux ou esseulés, aimés, d’humeur joyeuse ou sombre, fils et filles de ou pères et mères de ? La guerre ne fait pas ces distinctions. Elle anonymise ceux qui ont vécu : ils deviennent des chiffres dans des archives nationales, au mieux. Les centaines, les milliers, les millions de morts. En somme, l’histoire de la guerre, c’est une histoire de chiffres. Dans les manuels d’histoire, ceux qui ont vécu n’ont pas leur place. Il n’y a que la mort, et le feu de la guerre qui consume chaque existence qui est sur son chemin.
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[Ce texte est le premier d’une série de trois textes intitulé Feu, sang et liberté. Il se veut une réflexion post-13 novembre. Je tiens à me rendre solidaire avec toutes les victimes, pas seulement celles de l’attentat de Paris, mais aussi celle de l’attentat de Beirut, et de toutes les autres tragédies sanglantes passées sous silences. ]