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C'est avec beaucoup d'espoir que les Colombien.ne.s attendaient la visite de Barack Obama à Cuba le 23 mars pour la signature des accords de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires colombiennes – FARC. Les deux parties ont annoncé que la fin des négociations débutées en 2012 devrait être reportée.
Au pays, des voix doutent des négociations de paix se réalisant en l'absence de cessez-le-feu. L'intensification actuelle des attaques envers les mouvements sociaux offre peu de garantie pour l'exercice de l’opposition politique. Dans ce contexte, plusieurs craignent que la paix qui se négocie en ce moment ne soit qu'une transformation du conflit armé.
50 ans de guerre et pas d’issue au niveau militaire. Les FARC aspirent à conquérir des espaces politiques pour faire avancer leurs revendications. De son côté, pour asseoir son modèle économique, le gouvernement colombien doit mettre la main sur des zones stratégiques où la présence de la guérilla est un obstacle pour l'accès aux ressources et à la sécurité des infrastructures extractives. Mais qu'en est-il du peuple, acteur et victime du conflit?
La guerre que livrent les forces de l'État et les troupes paramilitaires et les guérillas n'est que la partie militaire du conflit. Si le pays n'en est pas à son premier processus de paix c'est qu'il y existe un conflit social qui n'a reçu aucune solution politique depuis les années 1950. Pays des plus inégalitaires, la Colombie nécessite une réelle réforme agraire: les familles les plus riches représentant 1 % de la population contrôlent 60 % des terres cultivables du pays, alors que la majorité des paysan.ne.s doit vivre avec moins de 5 hectares par famille. Pour la population urbaine (incluant 6 millions de réfugiés internes) les droits civils sont en quelque sorte suspendus et les droits sociaux (dont l'accès à l'éducation et à la santé) restent le luxe d'une minorité. Plusieurs secteurs de la société souhaitent asseoir à une même table de négociation les représentant.e.s des forces économiques du pays, les organisations paysannes, afrodescendantes, autochtones, syndicales, étudiantes et de femmes afin d'en venir à des accords qui offriraient des solutions à ces problèmes sociaux.
De fait, les pourparlers ayant mis fin aux grands mouvements de grève nationale (2013 et 2014) ont instauré des espaces de concertation entre l'État et les mouvements sociaux. Parmi les éléments revendiqués par ces derniers, on retrouve un moratoire sur l’attribution de titres d'exploitation minière, une reforme de l'éducation, de la santé et des services publics, le droit de manifester et la création d’un comité de droits humains. Deux ans plus tard, les négociations stagnent dans des dédales administratifs tandis que se succèdent les lois en faveur du modèle économique tant dénoncé.
Les négociations de paix peuvent-elles ignorer l'économie?
L’économie n'est pas sur la table de négociation: hors de question de reconsidérer la politique de locomotive énergétique du gouvernement basée sur les projets extractifs ou encore de toucher aux mesures adoptées pour faciliter les accords de libre-échange. Une position jugée irrecevable par plusieurs, dont les organisations paysannes, autochtones et syndicales, qui accusent ces accords de participer non seulement à l'appauvrissement de la population mais à l'augmentation de la répression à leur encontre. Par exemple, l'Accord de libre-échange avec le Canada, est responsable de l'augmentation des importations de viande, de grains et de sucre, trois produits phares de l'économie des régions rurales colombiennes, maintenant appauvries faute de pouvoir faire compétition avec les produits canadiens subventionnés. L'intérêt canadien se porte également sur le secteur minéro-énergétique. En 2013, 82 % des 70 entreprises canadiennes présentes en Colombie travaillaient dans ce secteur. Tout comme au Canada, les projets extractifs sont loin d'être synonymes de paix sociale. Selon certains rapports, 80% des violations aux droits humains commises en Colombie dans le cadre du conflit le sont dans les régions de développements miniers et pétroliers.
La paix pourra-t-elle garantir l'exercice de l'opposition politique?
Dernièrement, on assiste à une intensification des attaques envers les mouvements sociaux: arrestations hautement médiatisées, disparitions et assassinats, adoption de paquets législatifs répressifs liés aux manifestations, augmentation des peines de prison pour les activités de contestation. L’État semble se préparer à affronter un nouvel ennemi: l'opposition non armée. L'arrestation de membres du mouvement étudiant, en juillet dernier, l'illustre bien: ayant participé à une manifestation étudiante, ils et elles se sont vues menacées de 22 ans de prison, alors qu'une personne reconnue coupable d'être membre d'une guérilla écope de neuf ans de prison maximum pour délit de rébellion. Ainsi, un.e accusé.e se voit offrir la possibilité de se déclarer coupable de rébellion afin d'écoper d'une peine moins longue. Ce stratagème participe à amalgamer mouvements sociaux et guérilla.
Les opérations de «nettoyage social» et de cibles politiques de groupes paramilitaires sont également préoccupantes: entre le 1er et le 14 mars, on rapporte 28 assassinats par les paramilitaires. Plus tôt, cet automne, 2 candidats du Polo Democratico Alternativo ont été assassinés dans le cadre d’élections municipales.
Comment parler de paix si la moindre activité politique transforme tout citoyen en cible pour les troupes paramilitaires, sans garantie pour l'exercice de l'opposition politique? Finalement, comme le rappellent les mouvements sociaux, ce climat conflictuel peut-il disparaître dans les conditions actuelles d'appauvrissement de la majorité et d’accroissement des inégalités ?
Photo: Nadège Mazars / hans lucas studio